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Wanegaine Tching Tchong

Cassandraaa !!!

29 Août 2014 , Rédigé par Battì Publié dans #Société, #Mariage, #Cambodge, #Jiangxi, #Huanggang, #Traduction

Rebelote !

Ça vient de chez Chinafile, c'est signé par l'agence Caixin et c'est fort intéressant.

(en VO ici)

Des femmes cambodgiennes dans un bidonville de Phnom Penh (juin 2008)

Des femmes cambodgiennes dans un bidonville de Phnom Penh (juin 2008)

Les épouses importées d’un village chinois

C’est une chaude et moite journée d’été dans un petit village, au bord du fleuve Chang (NDT : autre nom du Yangze), dans la province du Jiangxi. L’endroit le plus populaire est en face de l’épicerie locale où quelques femmes jouent au Mahjong pendant que les enfants se courent après.

Assises à part, deux jeunes femmes chuchotent. Leur peau est plus sombre, leurs yeux plus enfoncés, leurs lèvres plus épaisses, elles ont un aspect différent des locaux. L’une d’elles porte des chaussures à talons hauts, un petit t-shirt et un jean serré, sans rapport avec le cadre local traditionnel. L’autre femme est enceinte et joue sur le grand écran de son Smartphone.

« Ce sont nos épouses cambodgiennes » dit une femme locale. « Chaque village le long de la rivière Chang en a trois ou quatre. »

Il y a environ six ou sept ans, la première épouse cambodgienne est apparue à Huanggang, une commune rurale qui compte en gros deux douzaines de villages disséminés le long des deux rives du fleuve. Un villageois était parti travailler dans le Yunnan – une province frontalière du Vietnam, du Laos et du Myanmar – et un client lui a présenté une femme de sa famille. Elle était heureuse de sa nouvelle vie en Chine, et a conseillé à d’autres femmes de venir dans le Jiangxi.

Finalement, ce village fluvial, qui n’était jusqu’à présent célèbre que pour ses inondations annuelles, est devenu le « centre de collection et distribution » de femmes cambodgiennes le plus célèbre de Chine.

Huanggang compte une douzaine d’agents spécialisés dans l’union de cambodgiennes avec des chinois. Ces trois dernières années, grâce aux nouvelles lois cambodgiennes qui facilitent le mariage avec des étrangers, le bureau d’enregistrement des mariages du Jiangxi a traité plus de 2000 dossiers concernant des femmes de ce pays d’Asie du sud est. Un grand nombre de cambodgiennes affluent également dans les provinces voisines du Fujian et du Zhenjiang.

Mais elles ne trouvent pas toutes une vie meilleure. Certaines sont poussées à se marier, alors qu’elles étaient venues en Chine pour travailler, et le consulat cambodgien à Shanghai est très occupé par les cas de femmes malheureuses qui veulent rentrer chez elles. Cela a provoqué des inquiétudes au sujet du trafic d’humains, et suscité des appels aux gouvernements pour que les deux pays maitrisent mieux le phénomène.

400 $ de dot

« J’avais l’intention de me marier loin de chez moi » explique Xiaoyan, une cambodgienne qui a déjà un fort accent du Jiangxi et un fils d’un an.

Elle s’est mariée avec un homme de Huanggang il y a deux ans, et peu après leur mariage son mari a dû partir travailler dans le Zhejiang pour payer son agent matrimonial et meubler leur maison toute neuve. Xiaoyan, 30 ans, ne le voit qu’une fois par an.

Au Cambodge, un des pays les plus sous-développé au monde, environ 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Cela signifie que 8 millions de personnes vivent avec moins de 2,3 $ par jour.

Xiaoyan dit que dans son village natal, plus elle est pauvre plus une fille se marie jeune. Toujours pas mariée à 28 ans, elle a choisi d’épouser un chinois parce que « les cambodgiens sont trop pauvres ».

Cassandraaa !!!

Avant 2010, les chinois n’étaient pas le premier choix des cambodgiennes. Beaucoup d’entre elles épousaient des coréens. En 2008, la Corée du Sud a compté plus de 25000 jeunes mariées cambodgiennes.

Aujourd’hui, la Chine supplante la Corée du Sud pour devenir la destination principale des cambodgiennes qui veulent épouser un étranger. Xiaoyan dit qu’elle n’avait pas la moindre idée de comment était la Chine, à part que c’est « beaucoup plus riche et plus grand ». Et tandis que les violences conjugales sont monnaie courante au Cambodge, elle a entendu dire que « les chinois ne battent pas leur femme. »

Par le biais d’une collègue d’usine, elle avait été présentée à un chinois qui avait promis à sa famille une dot de 400 $. « Alors ma mère m’a vendue avec joie ! » dit-elle, plaisantant à moitié.

Une déception

Les cambodgiennes arrivent habituellement en Chine en groupe. Des agents de Huanggang louent alors un camion et vont les récupérer aux aéroports de Shanghai ou Guangzhou pour les amener au village. Les locaux disent que seuls les hommes n’ayant pas réussi à trouver une chinoise envisagent d’épouser une étrangère.

« Il y a trop de célibataires à la campagne » se plaint un chauffeur routier. « Depuis des années, le contrôle des naissances à Huanggang est très strict. »

Le chauffeur explique que depuis que le gouvernement a imposé aux couples d’avoir un seul enfant, et que vu que ces couples préfèrent avoir un garçon, les avortements sélectifs ont eu pour résultat un excédent de mâles, ou comme le disent certains, des hommes « inutilisés ».

Après des décennies de planning familial, la Chine est confrontée à un grave problème d’équilibre démographique. Le ratio à la naissance est de 100 filles pour 118 garçons. En 2020, le pays devrait compter environ 30 millions de célibataires, la majorité dans les zones rurales pauvres.

Cassandraaa !!!

À Huanggang, deux catégories d’hommes ont peu de chances de trouver une femme : les handicapés et les pauvres. D’après les villageois, les gens qui marient leur fille sont fidèles à la tradition consistant à demander une dot de 200 000 yuans. Et bien qu’il s’agisse d’une commune relativement riche, certains hommes ne sont toujours pas en mesure de trouver une épouse.

Xu Gang a 37 ans, il est de Huanggang. Il est en bonne santé, pas trop pauvre, il a fait quatre années d’école primaire et se décrit comme introverti. Après deux relations sans succès, il est resté déterminé à se marier, alors il a accepté la proposition d’un agent qui lui suggérait une épouse cambodgienne. Il dit regretter sa décision.

Xu a payé 74 000 yuans de frais, ce qui l’endettait. Un rendez-vous fut arrangé. Même si les agents disent que le rendez-vous « marche dans les deux sens », c’est le plus souvent l’homme qui choisit une femme qui lui plait. Ensuite, celle-ci visite la maison de l’homme et décide ou non de l’épouser. En cas de refus, elle peut essayer un autre candidat.

« En général, du moment que l’homme a une maison, la femme ne décline pas la demande en mariage » selon un autre villageois.

Quand Xu a choisi sa femme, elle était la dernière restante de son lot de cambodgiennes. La femme que lui et sa famille appellent Suping avait 23 ans. Quand elle fut amenée chez Xu, elle était très en colère. Elle parlait et s’agitait, alors que Xu et sa famille ne comprenait pas un mot de ce qu’elle disait. L’agent l’a alors appelée à l’écart pour la faire parler au téléphone avec quelqu’un au Cambodge. Après un moment, l’agent est revenu vers eux en disant qu’il avait su la convaincre de se marier.

C’est seulement un an plus tard que Xu a appris par une autre cambodgienne du village que Suping avait été trompée par un agent au Cambodge. On lui avait dit qu’elle partait en Chine pour travailler, et c’est seulement en arrivant chez Xu qu’elle a compris qu’elle était censée l’épouser.

Billet de retour

Depuis trois ans, le centre des adoptions et mariages du Jiangxi est submergé. Plus de 2000 mariages sino-cambodgiens ont été enregistrés depuis 2011. Alors que le Vietnam demande aux chinois se mariant avec une vietnamienne de venir s’enregistrer en personne, le Cambodge se contente d’une simple preuve que la femme était bien célibataire.

Wang Wenliang, directeur du bureau d’enregistrement, dit avoir vu des cambodgiennes entrer en hurlant à l’aide, mais assure n’avoir rien détecté d’anormal quand Xu et Suping sont venus enregistrer leur mariage.

Xu dit que lui et sa famille ont traité Suping comme « une invitée de marque ». Il lui a acheté des vêtements neufs, un téléphone portable, et a même pris un abonnement téléphonique international pour qu’elle puisse régulièrement appeler sa famille. On n’attendait pas de Suping qu’elle travaille beaucoup, ni à la maison ni à l’extérieur.

Mais Suping n’était pas heureuse. À cause de la barrière de la langue, il n’y avait pas de communication entre elle et Xu. Il y avait des disputes au sujet de la nourriture car Suping n’était pas habituée au régime épicée de la famille.

Hormis manger et dormir ensemble, le couple ne trouvait rien à partager. Xu ne savait rien de la famille de Suping.

Suping n’est pas tombée enceinte. Xu avait renoncé à aller travailler en ville car il espérait avoir un enfant, qui n’est jamais venu. Xu a suspecté Suping de recourir en secret à la contraception.

Après avoir sympathisé avec une autre cambodgienne du village, Suping a commencé à sortir des journées entières. Xu dit que sa maison était devenue comme un hôtel gratuit pour elle. « On ne pouvait même pas se disputer. »

Plus tard, Xu a découvert que Suping s’affairait à marier une femme de son village natal avec un chinois, prenant au passage sa commission d’agent. Elle a utilisé les gains pour repartir au Cambodge.

Argent et sexe

Il y a eu pire. Depuis le deuxième semestre de l’an passé, le consulat du Cambodge à Shanghai a reçu de nombreux appels à l’aide de ses ressortissantes. Le mois dernier, il a renvoyé au pays six femmes qui avaient fui de Huanggang. Dix autres se cachent encore dans un sous-sol près du consulat, en attente d’un voyage retour.

Hong Thavery, 19 ans, dit avoir été enlevée à Phnom Penh par une cambodgienne qui lui avait dit pouvoir gagner un bon salaire en travaillant dans une usine en Chine. Hong avait accepté de partir.

Mais elle a fini avec un chinois qui l’obligeait à travailler à la maison et ne la laissait pas sortir. Il la violait fréquemment. Quand elle a fui et s’est adressé à des policiers, ils l’ont renvoyée à son mari. Souvent, on ne lui donnait même pas à manger. « J’étais tout simplement une esclave » dit-elle.

He Yunxiao, coordinateur du bureau chinois de lutte contre le trafic humain aux Nations Unies, dit que l’an dernier, la police du Jiangxi a découvert plusieurs cas de trafic de cambodgiennes, impliquant la coercition, dont des cas de femmes forcées à épouser des hommes handicapés physiques ou mentaux.

Selon Wang, directeur du bureau d’enregistrement, les mariages forcés, caractérisés par la violence ou la fraude, restent des exceptions. Il dit que bien souvent ces femmes épousent des chinois de leur plein gré, mais n’arrivent à s’habituer à leur nouvelle vie. Elles divorcent ou fuient suite à des conflits avec leur époux ou la belle famille.

« Au fond, bien que ces femmes viennent de leur plein gré, ça reste des mariages intéressés » dit Wang. « Des mariages si anormaux sont inhumains. Pour dire les choses de façon abrupte, une se marie pour l’argent tandis que l’autre le fait pour le sexe. »

Pour Zhang Zhiwei, avocat et activiste secourant les enfants enlevés ou abandonnés, le problème de déséquilibre démographique est responsable tant des problèmes de mariage que d’une instabilité sociale plus large.

Il a appelé les gouvernements, dont les autorités chinoises, à faire face à cette migration transfrontalière et chercher de vraies solutions plutôt que simplement lutter contre le trafic humain.

Depuis janvier, des fonctionnaires du Jiangxi ont rendu visite au consulat du Cambodge pour discuter des politiques liées aux mariages transfrontaliers.

Quant à Xu, il pleure toujours sa perte, financière et autre. En fin de compte, il espère que Suping reviendra pour au moins lui accorder un divorce. « Je prendrai ce qu’elle pourra me donner en compensation et j’accepterai mon sort. »

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