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Wanegaine Tching Tchong

Xi Dada (2)

11 Avril 2015 , Rédigé par Battì Publié dans #Traduction, #Xi Jinping, #Révolution culturelle, #Parti Communiste, #Xi Zhongxun, #Yan'an

Xi Dada (2)

Le Parti Communiste s’est voué à une société sans classes mais s’est organisé sur la base d’une hiérarchie rigide, et M. Xi a débuté sa vie tout près du sommet. Il est né à Pékin en 1953, troisième enfant d’une fratrie de quatre. Son père, Xi Zhongxun, ministre de la propagande à l’époque, préparait la révolution depuis l’âge de 14 ans, quand lui et et ses camarades de classe ont tenté d’empoisonner un professeur qu’ils considéraient comme contre-révolutionnaire. Il fut emprisonné, ce qui l’a plongé dans les conflits internes du Parti. En 1935, une faction rivale a accusé Xi père de déloyauté et l’a condamné à être enterré vivant, mais Mao désamorça la crise. Lors d’une réunion du Parti en 1952, Mao déclarait que « l’élimination des contre-révolutionnaires » nécessitait en moyenne l’exécution d’une personne pour mille ou deux mille citoyens. Xi Zhongxun a subi « de sévères sanctions », mais dans sa région, « les exécutions étaient plutôt moins nombreuses », selon sa biographie officielle.

Xi Jinping a grandi avec les récits de son père. « Il racontait comment il avait rejoint la révolution, il nous disait "Vous ferez certainement la révolution dans le futur," » se souvenait M. Xi dans une interview de 2004 au journal public de Xi‘an Les Nouvelles du soir. « Il nous expliquait ce qu’était la révolution. On en a tellement entendu qu’on en avait plein les oreilles. » En six décennies de politique, son père avait vu ou mis en place toutes les tactiques. Lors d’un diner avec le père en 1980, David Lampton, sinologue à l’école des études internationales John Hopkins, s’émerveillait de le voir capable de trinquer au Maotai avec des douzaines d’invités, sans effets visibles. « Au bout d’un moment, il fut évident qu’il buvait en fait de l’eau, » déclarait Lampton.

Quand Xi Jinping était âgé de cinq ans, son père fut promu vice-premier Ministre, et son fils lui rendait souvent visite à Zhongnanhai, la résidence sécurisée des hauts dirigeants du pays. Xi fut admis à la très select École du 1er Août, nommée ainsi en référence à une célèbre victoire communiste. L’école, installée dans un ancien palais de la dynastie Qing, était surnommée lingxiu yaolan – la couveuse à dirigeants. Les élèves constituaient une petite élite soudée, vivaient dans les mêmes bâtiments, partaient en vacances dans les mêmes endroits, et partageaient un même souci de noblesse oblige (NDT : en français dans le texte). Des siècles avant l’avènement de la république populaire, un groupe fluctuant de clans dirigeants possédaient richesse et pouvoir. Certains de leurs enfants se lançaient dans les affaires, d’autres devenaient hauts fonctionnaires. Ce groupe d’heureux élus évoluait au fil du temps, et quand les communistes ont pris le pouvoir en 1949, ils ont pris le relai. « Dans le langage de tous les jours, cet événement était décrit par l’expression "Ils ont vaincu tianxia – tout ce qui se trouve sous les cieux", » m’a expliqué Yang Guobin, sociologue à l’université de Pennsylvanie. « Ils pensaient disposer d’un droit naturel au pouvoir. Il leur appartenait. Et leurs enfants pensaient naturellement qu’ils en seraient, et devaient en être, les prochains propriétaires. » Comme le note l’historien Mi Hedu en 1993 dans son livre Génération Gardes Rouges, les élèves de l’École du 1er Août se comparaient entre eux sur la base de la puissance de leur père respectif, duquel d’entre eux avait la meilleure voiture. Certains disaient : « Obéis à tous ceux dont le père est le mieux placé. » Quand la Révolution culturelle a commencé, en 1966, les étudiants pékinois qui étaient zilaihong (« Rouges nés ») répétaient ce slogan : « Si le père est un héros, le fils aussi est un héros ; si le père est un réactionnaire, le fils est un bâtard. » (NDT : ou « un salaud ») Les Gardes rouges voulaient nettoyer la ville de toute opposition, pour la rendre « propre et pure comme le cristal », disaient-ils. De fin août à fin septembre 1966, environ deux mille personnes ont été tuées à Pékin, et au moins 4900 sites historiques ont été détruits ou endommagés, selon Yiching Wu, auteur de Aux marges de la Révolution culturelle.

Xi Dada (2)
Xi Dada (2)

Mais Xi Jinping n’avait ni le profil de victime ni celui de bourreau. En 1962, son père avait été accusé de soutenir un livre auquel s’opposait Mao, et fut envoyé travailler dans une usine ; et sa mère Qi Xin, fut envoyée dans une ferme. En janvier 1967, après que Mao avait encouragé les étudiants à viser les « ennemis de classe », un groupe de jeunes traina Xi Zhongxun devant une foule. Entre autres accusations, on lui reprochait d’avoir observé Berlin Ouest avec des jumelles durant une visite en RDA quelques années plus tôt. Il fut détenu dans une caserne où il a passé des années à marcher en cercles, a-t-il dit plus tard – dix mille tours dans un sens, puis dix mille à reculons. Le fils était trop jeune pour être Garde rouge, et le statut de son père en faisait un indésirable. De plus, être un Rouge né était devenu une tare. Les écoles d’élite étaient accusées d’être des xiao baota – des pagodes à petits trésors – et furent fermées. Xi Jinping et les fils d’autres dirigeants ciblés restèrent unis, participant à des bagarres de rue et volant des livres dans les bibliothèques fermées. Plus tard, M. Xi décrirait cette période comme une forme dystopique de perte totale de contrôle. Il fut arrêté « trois ou quatre fois » par des groupes de Gardes rouges, et forcé à dénoncer son père. En 2000, il a raconté au journaliste Yang Xiaohuai sa capture par un groupe loyal à la femme du chef de la police secrète :

« Je n’avais que quatorze ans. Les Gardes rouges m’ont demandé : « À ton avis, quelle est la gravité de tes crimes ? »

- Vous pouvez en juger tout seuls. Est-ce qu’ils suffisent pour m’exécuter ?

- On peut t’exécuter cent fois.

Dans mon esprit, il n’y avait aucune différence entre être exécuté une fois ou cent, alors pourquoi avoir peur cent fois ? Les Gardes rouges ont voulu m’effrayer en disant que j’allais maintenant éprouver la dictature démocratique du peuple, et qu’il ne me restait plus que cinq minutes. Mais finalement, il m’ont simplement dit de lire des citations de Mao chaque jour jusque tard le soir. »

En décembre 1968, dans une tentative de reprendre le contrôle, Mao envoya les Gardes rouges et les étudiants dans les campagnes pour y être « rééduqués par les classes rurales pauvres et moyennes inférieures. » Les familles de notables envoyèrent leurs enfants dans des régions où ils avaient de la famille ou des alliés, et M. Xi alla dans le fief de son père dans la province du Shaanxi. Il fut muté à Liangjiahe, un village bordé par des falaises jaunes. « La difficulté du travail m’a traumatisé, » se souvenait M. Xi dans une interview télévisée en 2004. Pour éviter le travail, il s’est mis à fumer – personne ne faisait attention à quelqu’un en train de fumer – et trainassait aux toilettes. Au bout de trois mois, il s’enfuit vers Pékin mais fut arrêté et renvoyé au village. Dans ce qui allait par la suite devenir le pilier de sa biographie officielle, M. Xi vécut une renaissance. Le mythe est raconté par une agence de presse publique : « M. Xi vivait dans une grotte (NDT : il y a dans ce village des habitations troglodytes) avec d’autres villageois, dormait sur un kang, lit traditionnel de brique et d’argile, a subi les puces, charrié du fumier, construit des barrages et réparé des routes. » Des détails cruels sont passés sous silence. Un jour, il reçut un courrier l’informant de la mort de sa demi-sœur ainée Xi Heping. John Garnaut, journaliste australien et auteur d’un livre à paraître sur l’ascension vers le pouvoir de Xi Jinping et de son équipe, déclare : « C’était un suicide. De proches collaborateurs m’ont affirmé qu’après une décennie de persécutions, elle s’était pendue à un pommeau de douche. »

Xi Dada (2)

M. Xi choisit de s’enrôler dans les Ligues de jeunesse du Parti communiste. À cause du statut de son père, ses demandes furent rejetées à sept reprises, d’après son décompte. Après s’être lié d’amitié avec un fonctionnaire local, M. Xi fut accepté. En janvier 1974, il devint membre du Parti et devint secrétaire du bureau de son village. (NDT : équivalent de maire de village) Sa démarche pour intégrer le Parti affligea certains de ses proches. Un ami de longue date, devenu par la suite professeur, a déclaré plus tard à un diplomate US qu’il s’était senti « trahi » par l’ambition de M. Xi d’intégrer le système. D’après un câble diplomatique US qui faisait état de son opinion, beaucoup parmi les proches notables de M. Xi espéraient avant tout échapper à la politique ; ils buvaient ensemble, vivaient des amourettes, lisaient de la littérature occidentale. Ils essayaient de « s’amuser pour rattraper les années perdues. » a dit le professeur. Il a fini par conclure que M. Xi était « follement ambitieux », savait qu’il n’avait « rien de spécial » hors de Chine, et qu’ainsi il « a choisi de survivre en devenant plus rouge que les rouges. » Après tout, m’a déclaré Yang Guobin en référence aux enfants des dirigeants précédents, « l’idée de propriété n’était pas morte. Un sentiment de fierté et de supériorité subsistait, et il y avait un pressentiment que les difficultés des parents n’étaient que passagères et que tôt ou tard, ils seraient de retour sur le devant de la scène. Et c’est exactement ce qui s’est passé. »

L’année suivante, M. Xi s’inscrivait à l’université Tsinghua en tant qu’étudiant « ouvrier-paysan-soldat » – des candidats reçus pour leur mérite politique plus que pour leurs notes. Au printemps, Xi Zhongxun avait été réhabilité, après seize ans de persécutions. Quand la famille fut réunie, il ne reconnut pas ses enfants. Sa foi n’avait jamais faibli. En novembre 1976, il écrivit à Hua Guofeng, chef du Parti, lui demandant une affectation pour « consacrer le reste de ma vie au Parti et m’efforcer de faire plus pour le peuple. » Il signa « Xi Zhongxun, partisan du président Mao et membre du Parti n’ayant jamais retrouvé d’activité normale au Parti. »

Le pedigree de Xi Jinping l’avait exposé à des politiques brutales – purges, sanctions, réhabilitation – et il en tira de douloureuses leçons. En 2000, dans une interview accordée à Cheng Peng du Chinese Times de Pékin, M. Xi déclarait : « Les gens qui n’ont qu’une petite expérience du pouvoir, ceux qui en sont éloignés, ont tendance à le voir comme quelque chose de mystérieux et inconnu. Mais je regarde au delà des choses superficielles : le pouvoir, les fleurs, la gloire et les applaudissements. Je vois les prisons, la versatilité des relations humaines. Je comprends la politique à un niveau profond. » La Révolution culturelle et ses années à Yan’an, la région où il fut envoyé adolescent, l’ont construit. « Yan’an marque le début de ma vie » a-t-il dit en 2007. « Beaucoup de mes convictions et de mes qualités d’aujourd’hui se sont formées à Yan’an. » M. Rudd, l’ancien premier ministre australien, m’a dit : « La base de toute compréhension de qui est Xi Jinping doit débuter par sa dévotion au Parti en tant qu’institution – malgré le fait qu’à travers ses vies personnelle et politique, il a fait l’expérience du meilleur du Parti, et du pire du Parti.

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