Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Wanegaine Tching Tchong

Choc au sommet

23 Mars 2017 , Rédigé par Battì Publié dans #Rwanda, #Kigali, #Rugby, #1000Hills, #Buffaloes

Et un bloc de saut lobé, un !

Et un bloc de saut lobé, un !

La vie s’écoule gentiment ici à Kigali. Et plutôt que parler boulot, je préfère causer rugby. Ça va sûrement modifier le profil type de mon lecteur mais que m’importe !

(vous êtes vingt-six)

Le championnat se poursuit, et je siffle toujours. Pour la quatrième journée du championnat, à ma grande surprise, la fédé me colle un match à Kigali.

Alors que j’avais demandé les rencontres de province.

Bon, ok, moi je fais ça, c’est aussi pour aider. On me dit « t’arbitres à Kigali », j’arbitre à Kigali.

Pour le Day 4, le coordinateur Tharcisse Kamanda me confie le match Thousand Hills contre Buffaloes. Mine de rien, il vient de me refiler la super affiche sulfureuse de ce championnat.

Pourquoi ? Je t’explique : au match aller (j’y étais pas, c’était le jour de mon tout premier match à Muhanga), Thousand Hills s’était imposé d’un tout petit point au terme d’un match paraît-il extrêmement tendu. Et à la fin du match, un joueur des Buffaloes était allé exprimer son mécontentement auprès de l’arbitre en lui collant un pain.

Je vous présente rapidement les protagonistes :

D’un côté, le Thousand Hills Rugby Club, champion en titre. L’équipe de bons mecs, super état d’esprit, et qui en prime joue le rugby le plus plaisant du championnat.

De l’autre, les Buffaloes de Remera, les bad boys de la compétition : ça joue dur, et à l’occasion ça joue sale. C’est contre eux que ma carrière s’était achevée lors d’un tournoi de 7.

Et là, clairement, pour les Buffaloes, il y a de la monnaie à rendre.

Je vous épargne l’épisode « terrain abominable ». On va encore jouer sans lignes. Heureusement que j’ai (encore) amené mes plots pour un marquage au sol ultra-minimaliste.

Par contre, soulagement, j’ai des juges de touche pour la première fois.

Tout de suite, je vois le contraste avec les matches de province : c’est bien plus organisé, les défenses ne sont pas hors-jeu, la conquête est à peu près propre, ça alterne les formes de jeu et il y a un embryon de jeu au pied.

Pas de pédagogie à faire, j’arbitre. Ça soulage.

Très rapidement je comprends d’où vient la réputation des Buffaloes : ça tape fort, même quand ça sert à rien. Quand on peut provoquer, on provoque, et quand on peut lâcher un petit coup en loucedé, on se prive pas. Par dessus le marché, leur capitaine, qui était l’an dernier capitaine de l’équipe nationale, est un putain de boulet qui réclame constamment des fautes, qui vient demander des explications à chaque coup de sifflet contre son équipe. Le problème, c’est que ce casse-burnes connaît les règles, et quand il vient faire chier, il peut arriver que s’instille le doute en toi.

Ceci dit, ses coéquipiers ne sont pas en reste. Chez les Buffaloes, pas besoin d’être capitaine pour brailler après le ref.

Je les colle à dix quelques fois, je dis au capitaine qu’il me les brise menu, et on arrive à la mi-temps sur un score serré. Mais moi j’en peux plus. Les Buffaloes sont épuisants. Et à force de chauffer l’adversaire, l’adversaire commence à s’énerver aussi.

Question rugby, c’est plutôt pas mal.

Mais l’ambiance, mon gars...

Installé aux premières loges, je vois bien que les Buffaloes sont nettement plus forts et vont gagner. Du coup une voix mauvaise dans ma tête me dit que peut-être bien qu’ils se sont effectivement fait entuber par l’arbitre au match aller.

Silence, voix mauvaise !

« Attends, ils les démontent devant, et en défense y a rien qui passe »

Mais heuuu ! Ta gueule !

La deuxième mi-temps voit les caractéristiques de la première s’accentuer : les Thousand Hills ont le ballon et envoient du jeu, sans résultat. Les Buffaloes défendent comme des chiens et marquent à chaque fois que l’occasion se présente.

Mais ça continue à contester et j’en ai vraiment ras le bol.

Et là se passe ce qui est probablement un tournant de match.

Vers l’heure de jeu, les Thousand Hills, derrière au score mais toujours dans le coup, attaquent de leurs 22. Un Buffalo met une cravate. Je siffle et sors mes cartons, je sors même mon jaune, j'ai plus qu'à tendre le bras. Le capitaine des Buffaloes, bien évidemment, arrive à cent à l’heure pour implorer.

« Monsieur l’arbitre, il vient d’entrer en jeu, c’est son premier plaquage, il est pas encore dans le match, pas carton, soyez cool. »

C’était vrai.

Le coupable, tout beau tout frais dans son beau maillot propre me regarde en s’excusant. Il sait qu’il a fauté, ses excuses et sa détresse ont l’air sincères. Et là je raisonne en Machiavel.

J’achète la paix sur le terrain.

Je sais pas si je suis génial ou si j’ai commis une colossale faute d’arbitrage, mais j’ai rangé mon carton en disant « Ok, il reste sur le terrain.

- Merci ref ! » me dit le capitaine, mains jointes dans un geste de prière.

Le capitaine des Buffaloes m’est désormais redevable. Il va enfin fermer sa grande gueule, me dis-je.

Bon par contre le capitaine des Thousands Hills, lui, mes manœuvres de manipulation mentale, il s’en bat les couilles. Il a un gars par terre qui saigne du nez (j’avais pas vu), et il aimerait comprendre.

Je ne sais plus ce que je lui ai dit exactement, mais c’était un truc du style « T’occupe, c’est enregistré ». Genre, je vous en dois une.

Il a pas eu l’air franchement convaincu, le gars.

Surtout que le reste du match s’apparente à une mise à mort. Les Buffaloes se mettent à planter essai sur essai et tuent le match.

Au coup de sifflet final, je me demande si les Thousand Hills auraient pu renverser la vapeur au cours des dix minutes à 15 contre 14 dont ils auraient dû bénéficier. Je ne fais pas le fier devant les mecs des Thousands Hills qui viennent me serrer la main. J’étais joueur, et je sais très bien ce qu’ils vont dire de moi. Je les ai niqués d’un carton jaune flagrant.

Côté Buffaloes, bien sûr, c’est la joie. On me trouve extra. Leur entraineur vient me féliciter. « J’aime comment vous arbitrez ! ». Ben voyons.

Le bon côté du bazar, c’est que ce match qui collait la courante aux dirigeants de la fédération et à mes confrères arbitres s’est déroulé sans le moindre incident.

C’est super difficile, les gars : respectez les arbitres, sans déconner.

PS : si vous twittez, suivez donc @1000HillsRugby, il actualisent assez souvent.

Partager cet article

Commenter cet article